Je vous demande pardon?! - « Je vous demande cela comme un service Jeremiah. » - Je suis pas professeur! Si j'avais voulu enseigner j'aurais fait instituteur, ou coach, ou les deux. - « Elle a besoin de notre aide. Elle est rentrée d'une chasse dans un état inquiétant. » - Et c'est ma faute peut être? Je ne la connais même pas! - « J'ai peur qu'elle ne rentre pas la prochaine fois! » - La voix du vieil homme semblait s'essouffler et s'il ne défendait ici qu'une entraide au sein de la faction avant toute implication personnelle, cette argumentation avec Jer' semblait l'épuiser. De son côté, le jeune sorcier l'avait entendu et s'il restait sur ses positions, il hésitait à poursuivre plus avant cette conversation. - « Je ne vous ai jamais rien demandé. Depuis le début, je suis resté hors de votre vie comme vous me l'avez demandé, mais les choses changent, évoluent... Je doute que vous puissiez décemment rester en dehors de tout ça encore bien longtemps. » - Jeremiah resta silencieux, la tête plongée dans sa main libre, le coude posé sur le plan de travail de l'îlot central de sa cuisine. - Où et quand. - Plus un grognement qu'une question, Clayton ne releva pas et répondit simplement. - « 20h, ce vendredi si cela vous convient. Je vous envois l'adresse par mail, ce sera plus simple... » - Et si l'homme avait dit quelque chose ensuite, Jer' n'en saurait rien puisqu'il avait raccroché.

Cinq jours plus tard, la nuit était déjà tombée depuis un moment et Jeremiah traversait une rue.  Il portait un jeans et une veste en cuir marron sur un t-shirt blanc uni, des baskets aux pieds. Il avait laissé sa voiture au coin d'une autre rue et portait à sa main droite un sac de sport. Son regard était fixe, froid, et sa démarche rapide. Il voulait en finir avec ça. Sa semaine n'avait pas été de tout repos, plutôt catastrophique à vrai dire, et cette soirée d'entrainement forcé l'achevait, ou en tout cas presque. Les retrouvailles houleuses avec résumées en une phrase avec Kyra avaient fait des dégâts sur son sommeil et sa patience ne faisait qu'en souffrir. Si la femme qu'il allait rencontrer s'attendait à voir débarquer un professeur souriant et motivé, elle se fourrait le doigt dans l’œil jusqu'au coude. Ayant repéré de loin le bâtiment, il y arriva par le côté et entra, repérant immédiatement son élève de la soirée. Élève... Qu'est-ce qu'il foutait là... Passant les premiers appareils, il approcha d'elle sans rien dire et c'est seulement lorsqu'elle leva les yeux vers lui qu'il parla. - Ayana? - Voyant à son regard que c'était elle, il poursuivit. - Je suis Jeremiah Griffith, c'est Mr Clayton qui m’envoie. - Ça ressemble a une présentation agréable? Ça n'en a que l'air, car il avait dit ça sur un ton monocorde tout en laissant tomber lourdement le sac de sport qu'il portait. L'ouvrant, il en sortit deux bâtons télescopiques en acier, des matraques utilisées généralement par la police, et en lança une à Ayana. Première étape, jauger ses compétences. Rapidité, force, dextérité, équilibre. - On y va? J'ai pas tout la nuit.

Elle souhaitait éviter d’abîmer son matériel? Il pouvait le comprendre. Mais il n'avait pas été difficile de voir à son regard qu'autre chose se tramait dans sa tête et si la faiblesse de son côté lui sautait aux yeux, il ne comptait pas l'utiliser contre elle sauf s'il n'avait plus d'autre choix. Il n'était pas là pour la faire souffrir, même s'il préférerait être ailleurs. Haussant les épaules, il posa la matraque sur l'une des installations et retira sa veste en cuir avant de la poser. Enfin, il l'aurait posé plutôt que laissé tomber si Ayana ne s'était pas mis en action au moment même où il s'était détourné. Bonne appréciation de la situation même si son action avait été totalement innocente. Se protégeant le visage, bien content d'avoir retiré sa veste avant de recevoir le désinfectant, il entendit les pas précipités d'Ayana avant de la voir filer en courant vers une place plus à son avantage. L'odeur entêtante du produit lui piquait le nez et chaque respiration devenait désagréable mais il était encore trop tôt dans leur relation pour qu'il retire son t-shirt. Il était hors de question qu'elle sorte d'ici.

Armant son bras, il fit sauter la matraque dans sa main avant de la lancer. Fendant l'air, le bâton télescopique fila, rapide et furtif, jusqu'à s'écraser aux pieds d'Ayana, stoppant net sa course à mi-chemin. Si le sol n'était pas si solide, il s'y serait probablement planté. Ayant profité de l'arrêt momentané de la jeune femme, Jer' avait traversé la distance qui les séparait et glissa sur le sol pour récupérer son arme. Toujours au sol il pivota et asséna un coup de matraque au niveau de la cheville de son adversaire, fragilisant sa posture, avant de se redresser dans une rotation contrôlée, frappant cette fois au niveau du bras gauche. Un pas en arrière, Jer' fixa Ayana. Il lui barrait la route et si le second coup n'avait été que bonus, le premier avait été suffisamment précis pour l’empêcher de poser son pied correctement. Bien sur ce n'était rien de définitif et la douleur disparaîtrait dans les minutes suivantes, mais c'était un handicap parfait qui lui donnait un certain avantage. Sur ses gardes, attentif, Jer' attendait maintenant le prochain coup d'Ayana. Allait-elle enfin passer à l'offensive ou ferait-elle encore volte-face pour trouver un terrain plus stratégique?

Était-ce le fait de ne pas être au top de sa forme qui induisait chez elle cette colère? Ou le fait qu'il soit parvenu à l'atteindre par trois fois sans montrer le moindre signe de difficulté? Il la jaugeait du regard alors qu'elle faisait sauter la matraque d'une main à l'autre. Gros point faible ici: de un il aurait pu la désarmer à n'importe quel moment, de deux si elle voulait l'impressionner il faudrait beaucoup plus qu'une passe de jonglage. Voyant venir l'attaque un quart de seconde plus tôt en observant d'un coup d’œil le pied droit d'Ayana bouger, il pu voir approcher un peu trop rapidement la matraque. Un coup frontal, directement à la tête. Pas vraiment admissible à un combat d'entrainement mais bon, il ne s'en formalisait pas. Il avait de toute façon eu le temps de pivoter, certes de justesse, pour éviter une mauvaise balafre et le coup ne fit que siffler à son oreille. Et si ce coup aurait pu être perçu comme pas très moral, le suivant était carrément déloyal.

Reculant d'un pas pour éviter les attaques rapides d'Ayana, Jeremiah ne vit qu'au dernier moment le coup de pied perfide qu'elle lança. Lâchant la matraque au dernier moment, il saisit la cheville déjà douloureuse de ses deux mains et dévia l'attaque pour élever sa jambe, la déséquilibrant dangereusement. Il pouvait soit lever la jambe encore plus haut et la forcer à tomber en arrière, ou la lâcher. Elle aurait pu tenter un coup de pied sauté mais dans cet état de déséquilibre elle n'avait plus la prise au sol nécessaire pour y parvenir et ne ferait que retomber lourdement sur ses fesses, se ridiculisant par la même occasion. Une chose appréciable cependant: malgré son flanc blessé, sa cheville douloureuse et son bras engourdit, elle continuait toujours de se battre. En combat réel il aurait comprit, il aurait aussi comprit quelle décide de faire une pause pour se remettre vu qu'après tout ce n'était qu'un combat d'entrainement, mais non, elle continuait. Honnêtement? Il trouvait ça bête, elle pouvait aggraver chacune des blessures en continuant comme ça. D'un autre côté, si elle se blessait, ça mettrait fin à tout ça et il pourrait rentrer chez lui. Comment ça c'est cruel comme raisonnement?

Tu es combative et en temps normal je dirais ça dans le bon sens du terme, mais en l’occurrence, c'est pas bon. - Lâchant la cheville, il la laissa reprendre le contrôle de sa jambe. - Tu es blessée et entravée de plusieurs façons mais tu continue d'attaquer, prenant ainsi le risque d’aggraver chacune des blessures. Tu ne combats que dans le présent, il te faut voir plus loin. Imagine une seconde que je ne sois pas ton seul adversaire? Si tu utilises tout ce que tu as pour me battre et que tu aggraves ton état en le faisant, que fera-tu lorsque l'adversaire suivant viendra? - C'était le soucis de beaucoup de personne. Économiser son énergie était une chose, s'économiser soit même en était une autre. Oui, il y a une nuance. Parce que s'il ne le disait pas, il avait bien vu qu'Ayana avait perdu le contrôle sur ses émotions durant cette dernière minute et c'est ce qui lui avait facilité la tâche. Aurait-elle lancé ce coup de pied hasardeux autrement?

La voix masculine faisant irruption attira immédiatement l'attention de Jeremiah qui se retourna. Un jeune homme, la vingtaine, cajun, entrait dans le bâtiment, l'air tout à fait alaise. De ce qu'il comprit rapidement ils se connaissaient et la réponse que lui donna Ayana compléta ses déductions. Le prénommé Charles travaillait ici et faisait le ménage, mais il pouvait dénoter dans leur comportement qu'il y avait un peu plus qu'un simple rapport de patron à employer. Pas franchement emballé à l'idée de cette trop grande familiarité, Jer' fit un pas en arrière, imperceptible, tout en les écoutants parler. Pas plus curieux que ça, l'intervention d'Ayana marqua un pallier dans cette soirée. Enfin cette heure. Enfin cette dizaine de minutes. Vexée? Pour quelle raison? Pour avoir été battue? Un sourire traversa le visage de Jer', excédé. - Monsieur, n'est pas nécessaire. - Monsieur Griffith, c'était son père, et encore seulement dans les grandes occasions. Elle le poussait vers la porte et s'il n'avait attendu que ça depuis qu'il était arrivé, la façon dont ça se passait le dérangeait. Non pas qu'il se sentait coupable ou qu'il attendait une quelconque forme de reconnaissance... Mais disons que s'il était venu jusqu'ici ce n'était pas pour se faire jeter dehors comme un malpropre.

Se baissant pour ramasser les deux matraques, il les replia tout en retournant jusqu'à son sac. Son égo ne supportait pas la critique ou la défaite? Qu'il en soit ainsi. Serrant sa main il répondit. - Je saurais me débrouiller, merci. - Courtoisie, pas une once d'agacement dans sa voix, une simple élocution. Bien sur, tout comme la réflexion de la jeune femme, tous pouvaient entrevoir le sens caché entre ces mots. Il avait une machine à laver chez lui aussi, il avait aussi son expérience avec ce genre de produit. Après avoir fourré les matraques dans le sac puis l'avoir refermé, Jeremiah attrapa sa veste en cuir, la gardant sur le bras, et passa le sac sur son épaule. Faisant quelques pas pour dépasser les deux autres, il se retourna, affichant un sourire totalement ironique. - Je vous souhaite donc bon courage et une bonne soirée. - Oui, voilà, bon courage avec le rangement, la salle, les Démons, et tout le reste. Sur ces mots, il se retourna et se dirigea vers la porte. La prochaine fois que Clayton aurait besoin de lui pour aider quelqu'un, il lui dirait d'aller se faire voir chez les grecs.

Jeremiah soupira en fermant les yeux lorsqu'il entendit les pas rapides de la jeune femme dans son dos et se retourna pour lui faire face. De son visage toute colère avait disparu et désormais une sorte de gène avait prit place. Elle s'excusait, lui expliquait qu'elle n'agissait pas de la sorte habituellement, qu'elle saurait se contrôler à l'avenir. Jer' la fixa, la jaugea encore une fois, scrutant chaque détail, profitant du coin d'ombre dans lequel il se trouvait pour ne pas paraître louche. Il ne faisait pas preuve d'une quelconque perversité, non, il cherchait à savoir si elle était sincère. N'importe qui pour s'excuser, ce n'était qu'une suite de mots. La différence était dans l'intention, et uniquement dans cette intention. De toute façon il était pas d'humeur et si l'histoire avec Kyra n'avait pas été d'actualité, la façon dont il avait été traité l'aurait plongé dans ces contrées là. Et elle lui tendit sa main. Il avait une tronche de vendeur de diamant? La serrant en retour, sans grande conviction cependant, il répondit. - J'y penserais.

Et c'est sur ces mots qu'il rompit le contact et tourna les talons. Pourquoi s'étendre? Elle savait qu'il n'avait pas envie d'être là, ni de le faire, et elle avait prit conscience que son comportement l'avait dérangé. Il n'était pas vexé, loin de là, disons que c'était juste une raison de plus de ne pas lui donner envie de faire tout ça. Le pas ni trop rapide ni trop lent, la tête haute, les yeux s'étant habitués à l'obscurité et à l'éclairage des lampadaires du vieux quartier, Jer' marchait disparu au détour d'une ruelle. Autrefois il ne se serait pas aventuré dans ces coins sombres, mais maintenant... Disons qu'il ne craignait plus la supériorité numérique. Avant il aurait pu se défendre contre plusieurs hommes à mains nus mais par les temps qui courent, un flingue ou ne serait-ce qu'un couteau sont souvent introduits dans la partie et contre ça il y a bien moins d'options. Une vague télékinétique est une réponse valable, c'est d'ailleurs pour ça qu'il n'y avait pas d'air suspicieux sur son visage à ce moment-là mais simplement de la neutralité. Au loin il pouvait entendre les voix nombreuses des touristes et une fanfare faire sonner leurs cuivres. Peut être irait-il y faire un tour, boire un verre ou deux, ça lui changerait les idées. Après tout, après cette semaine merdique, il en avait bien besoin... Il en aurait bien besoin.